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ARF PACA Masquelier

 

 

 

Association Régionale pour le Fleurissement, région PACA

(Mr Masquelier)

 

 

 

Conférence "Du sens au signe, ou le parcours malheureux de l’arbre en terres du sud"

Domaine du Grand Saint-Jean, Aix-en-Provence

© Josiane UBAUD, mai 2006

 

 

 

 

L’analyse des paysages languedociens et provençaux concernant les arbres isolés plantés à côté des architectures, doublée de l’étude des textes occitans évoquant les arbres et de la théorisation des réflexes d’achat menée par le sociologue Jean Baudrillard, nous a permis de dégager des grandes familles de marqueurs végétaux. On constate en effet des couples indissociables et récurrents arbre/construction qui ne sont pas seulement liés à l’écologie des sols. Car constate J. Baudrillard “ les objets sont porteurs de significations sociales, porteurs d'une hiérarchie culturelle et sociale, bref ils constituent un code... A travers les objets, chaque individu, chaque groupe cherche sa place dans un ordre.”, et nous nous sommes aperçue que l’arbre n’a pas échappé à ce phénomène.

 

Dans Des Arbres et des Hommes, Architecture et Marqueurs végétaux en Provence et Languedoc (Edisud, 1997, ouvrage épuisé), nous avions ainsi mis en évidence cinq grandes familles de marqueurs dans les paysages anciens tels qu’ils se présentent à nos yeux :

-         les marqueurs sociaux (cèdre, palmier) qui ne sont plantés que pour attester du rang social du propriétaire et ornent donc les architectures de prestige. Le cèdre est associé au pouvoir depuis la nuit des temps et vient donc signer tous les châteaux et grands domaines viticoles,  tandis que le palmier est un marqueur d’exotisme bourgeois depuis le milieu du 19ème siècle, qui ornent les villas de la Riviera et les demeures les plus bourgeoises dans les villages (dans ce cas, toujours par paires).

-         les marqueurs culturels sacrés qui nous viennent du fond des âges avec une charge symbolique très forte (cyprès, micocoulier, laurier d’Apollon, olivier). Le cyprès est le gardien tutélaire des lieux de passage qui marque certes les cimetières mais bien plus largement les croisées des chemins, les entrées de propriétés, outre son grand effet décoratif dans les jardins dits à l’italienne. Le micocoulier, arbre sacré du Languedoc oriental,  signe beaucoup d’églises, perpétuant en cela sa sacralité pour la tribu des Celtes Arécomiques (d’où son nom latin Celtis australis, et son nom occitan fanabreguier, formé sur fanum, le temple, et brogilon, le bois). Le laurier d’Apollon (hélas dégradé en laurier sauce) marque les jardins de presbytère et les portails des grands mas. Et si l’olivier était marqueur de temples grecs, mais n’a pas été utilisé en marqueur d’architecture, tout le discours sur l’olivier est empreint chez nous de cette même sacralité antique.   

-         les marqueurs culturels de convivialité, nourriciers de proximité (figuier, amandier, jujubier, treille) qui abritent les repas de familles près de la maison ou des travailleurs aux champs près des masets et cabanons de vignes, et dont l’échange de fruits dans une communauté entretient un lien social. C’est sous ces arbres que l’on se réunit, pour manger, parler ou jouer aux cartes, que la littérature témoigne de scènes amoureuses. Ce sont les symboles du midi, ce que l’on évoque lorsqu’on est exilé, et omniprésents en littérature.   

-          les marqueurs  d’usage destinés seulement à fournir de l’ombre (platane, tilleul, marronnier, mûriers, robinier, sophora), qui affectent donc tout type d’architecture, toutes les classes sociales ayant besoin d’ombre, et au sujet desquels la littérature est peu prolixe voire absente.

-           les marqueurs de charme (bignone, glycine, renouée du Turkestan, vigne vierge, rosier de Banks) qui ornent les portails et les tonnelles, pour un accueil fleuri tout en souplesse.

Cette théorie des marqueurs permet de donner des clefs de lecture culturelle et symbolique des paysages méditerranéens et montre que l’arbre produit/produisait du sens dans la société. Car planter un figuier ou un micocoulier plutôt qu’un palmier n’est en effet pas un acte totalement innocent : c’est choisir soit de s’insérer dans la lignée des cultures méditerranéennes,  soit au contraire de se démarquer à tout prix du voisin. Dis-moi ce que tu plantes et je te dirai qui tu es.

 

L’emploi contemporain des arbres tourne radicalement le dos aux usages précédents, sauf en ce qui concerne le démarquage social.  On assiste en effet à une disparition des marqueurs culturels, jugés trop banals (ou ruraux ?). Les haies minéralisées des zones pavillonnaires traduisent « une compulsion anxieuse de séquestration ». Mais le palmier sert toujours de démarquage social individuel et collectif, puisque de nombreuses communes cèdent avec complaisance à la palmomania, pour « faire Côte d’Azur, faire californien, faire exotique ». La mode, même si elle a toujours existé, appuyée/générée par les circuits économiques, semble être de plus en plus le seul moteur d’aménagement paysagé. On assiste à un fétichisme généralisé de l’olivier vieux. L’antique marqueur de temples, dont la culture même est encore sacrée dans les discours, est devenu un monarque déchu ravalé au rang de mobilier urbain, planté au centre des ronds-points, même en plein coeur urbain. L’arbre peut même servir d’étendard aux pouvoirs politiques, qui ne le conçoivent que vieux. Ce « marché du vieux » est devenu même l’unique spécialité de certains pépiniéristes, chez qui l’on peut voir des forêts d’oliviers morts n’ayant pas supporté le déracinement : triste cimetière des éléphants.

 

Posons donc quelques questions qui fâchent. Est-il normal de tailler des cyprès en sucettes, parce qu’on les arrose avec la pelouse (moquette verte dont on ne peut se passer ?! dans un pays de sécheresse !) et qu’ils s’ouvrent donc de façon disgracieuse ? Est-il normal de les tailler tous ainsi même lorsqu’ils ne s’ouvrent pas, en les rigidifiant comme du ciment vert, parce que c’est devenu un démarquage social d’une certaine mode-chic-branchée-lubéronnaise ? On les empêche de courber la tête dans le vent, ce qui a donné le célèbre motif de boteh, hérité d’Orient, qui orne nos tissus provençaux et les châles nîmois dits cashemire : en leur coupant la tête, on coupe 3000 ans d’histoire et d’échanges culturels.  Van Gogh aurait-il peint ces cyprès code-barre ? Nous en doutons fort.

Est-il normal de transplanter des oliviers vieux, dont la plupart vont mourir à cause du trop gros traumatisme subi ou de l’absence de sol convenable, et des palmiers dans des zones extrêmement ventées, ce qui dessèchent leurs feuilles et les rend inesthétiques ? Est-ce respecter les arbres que de leur imposer ces conditions climatiques et pédologiques, au nom de la subite palmomania/olivier-vieux-mania ?

 

                                                        

 

On peut utiliser l’olivier en arbre d’ornement : orner n’est pas dégradant. Mais est-ce respecter sa sacralité millénaire que de le placarder au centre de ronds-points à l’anglaise, comme un lampadaire, en le condamnant à voir tourner des véhicules ? Est-ce vraiment réussi que de lui offrir pour compagnons des tapis de pensées, de bégonias rouges, de cannas ? Ne demande-t-il pas au contraire un environnement végétal en accord avec son esthétique de plante méditerranéenne, c’est-à-dire une prédominance de feuilles étroites et grises ? N’y-a-t’il pas un exemple à donner par les municipalités, une éducation du public à faire, pour enfin faire passer l’idée que n’est pas forcément beau que ce qui est rouge/jaune/bleu bien criards ? Que les paysages du sud n’ont pas à s’aligner esthétiquement sur ceux du Val de Loire parce que certains responsables d’espaces verts sortent de ces écoles-là d’horticulture ? Qu’il est anormal et néfaste de voir en Provence les mêmes agencements qu’en Bretagne, en Anjou ou en Alsace ? Pourquoi est-on incapable de créer chez nous des espaces verts autour de la notion de sec, vécu au contraire comme le comble de l’horreur ? Ou alors limités aux sempiternelles lavandes/santolines, qui vieillissent fort mal elles aussi parce qu’elles subissent l’arrosage automatique de la pelouse voisine ? Pourquoi les camaieux de gris ou de graminées sèches, qui font la réputation de certains jardins « au nord », sont-ils rejetés ici, alors qu’ils devraient être une marque du sud, à cause des caractéristiques de notre végétation indigène ? N’est-ce pas une contradiction totale, une irrationalité absolue, que l’obsession de la gênoise à trois rangs ou de la stricte dimension d’une fenêtre imposées par la DDE d’une part et la totale liberté de massacrer nos paysages d’autre part, par ignorance du sens de nos arbres et de ce qu’est une végétation méditerranéenne ? Est-ce à dire qu’il faille se limiter « aux espèces méditerranéenens indigènes » ? Bien sûr que non : nombre de plantes en provenance de Californie, d’Australie, d’Afrique du sud ou de certaines régions de Chine, ont une esthétique identique à nos végétaux, parce que vivant sous des climats identiques, donc ayant des besoins en eau réduits. Elles s’intègrent donc parfaitement à nos paysages, et poursuivent la tradition de la zone méditerranéenne d’avoir de tout temps intégré des plantes étrangères. Tous nos arbres, olivier, figuier, pêcher, amandier, sont  « de beaux étrangers » (comme tous nos légumes) : c’est ce que nous en avons fait, comment nous les avons intégré à nos paysages, qui nous est spécifique, qui marque notre culture. Placarder du palmier partout n’a rien de spécifique et rien de créatif : c’est une consternante monotonie qui a gagné largement plus que nos régions, tout comme la mode de l’olivier (y compris sur les carrefours des grandes avenues parisiennes !) ou les haies minéralisées de thuyas, piracanthas, lauriers amandes, identiques du sud au nord dans toutes les zones pavillonaires.

 

Doit-on se plier au désir des pieds-noirs qui veulent reconstituer leur pays d’origine ou à la manie des touristes qui veulent de l’exotisme à leur porte, en cédant électoralement à la palmomania, parce que oliviers/figuiers/cyprès/micocouliers ne seraient pas des preuves de sud suffisantes pour certaines catégories de gens ? Ou parce que certains pépiniéristes ont décidé de « faire du pognon » en important des palmiers, qu’il faut donc placer à tout prix auprès des municipalités ? Est-il normal que la ville de Nîmes ait ainsi cédé jusqu’à l’outrance à la palmomania, - au point de communiquer en associant les arènes et un palmier ! -, au nom d’une monnaie antique trouvée au 16ème siècle, représentant un crocodile et un palmier ? Les palmiers démultipliés dans une dizaine de bacs sont-ils en situation culturelle et esthétique sur la petite Place des Moulins du quartier du Panier à Marseille ? Le panneau municipal affirmant pourtant « qu’on a valu conserver à cette place son aspect de petit village provençal » est-il donc un gag destiné à faire rire le passant ?

 

Sur le plan symbolique, est-il rationnel de s’éprendre chez l’olivier de ses rides, ses plis, ses boursouflures, ses marques de souffrance, toute chose que l’on abhorre d’autre part chez les humains (lifting, liposuccion, jeunisme à outrance !), alors que de tout temps, en tout lieu, l’arbre a toujours été justement le double des humains ? Et qu’on admirait/respectait le viel arbre et le vieil homme ?

Est-il bénéfique de tourner le dos à la notion de temps,  de plaisir de l’attente de voir pousser, de passage de relais entre les générations, et de ne planter au contraire que du vieux, alors que le grand-père plantait pour ses petits-enfants, lesquels voyaient donc dans les arbres le double de l’ancêtre, le témoin de relais entre les générations ? L’antique dicton olivier de ton grand, castanhier de ton paire, amorier tieu (olivier de ton grand-père, châtaignier de ton père, mûrier de toi) est devenu olivier de moi, moi, moi, surtout pour les politiques. Une fâcheuse manie de plus de notre société de consommation à outrance, société infantile qui ne cherche qu’une satisfaction immédiate des besoins et une image de pouvoir pour les politiques (je suis puissant, je plante gros, je plante grand, je plante cher, avec l’argent des autres toutefois).  Car l’olivier vieux à 30 euros aurait-il toujours autant de succès ? Ou est-il beau surtout/d’abord parce que l’on cède « au vertige de l’argent consumé », bien pire que consommé ?

 

Et que feront les inventorieurs de l’an 2500 lorsqu’il leur faudra répertorier « les arbres remarquables de leur département » ? Devront-ils tenir compte de ces transplantés dont l’histoire est ailleurs ? Car ce seront des arbres sans histoire, sans lien avec le terroir, puisque placardés en l’an 2000  un peu partout, comme copiés-collés par ordinateur. Nés « au fond d’une vallée froide d’Andalousie », comme le précise si ridiculement une pancarte à côté des trois vieillards transplantés à très grands frais au Pont-du-Gard. Ce pont avec son paysage naturel qui lui sert d’écrin magnifique avait-il besoin d’une surdétermiantion à l’aide de vieux déracinés « hors de prix »?  N’est-ce pas une preuve d’absence totale de culture de nos dirigeants, qui ne savent pas voir le beau qu’ils ont sur place ? Nous ne sommes pas la seule à avoir trouvé cette action totalement ridicule, qui a fait s’étrangler de nombreuses personnes, dont des professionnels du paysage.

 

Où que l’on se tourne, ll y a donc des manifestations consternantes de déculturation, une perte tragique de sens au profit d’un étalage de signes, une volonté de « faire sud » artificielle, un vertige pour le « m’as-tu-vu », au lieu « d’être sud » en commençant par assumer tout d’abord les réalités climatiques (grande sécheresse, vents et froids excessifs pour les palmiers que l’on s’obstine cependant à planter et à emmailloter 5 mois par an, voire à chauffer par des résistances au pied).

 

La société de consommation et les élites qui donnent le ton (et quel que soit leur bord politique), en se jetant à corps perdu dans les modes par définition éphémères,  affichent leur boulimie de signes, qu’il faut démultiplier sans cesse (forêts de palmiers, forêts d’oliviers vieux), signes d’autant plus prisés qu’ils coûtent cher, affichent tragiquement leur inculture car « "la caste... méprise au fond "l'esthétique", "l'art", le symbolique, la "culture", qui sont tout juste bons, en tant que valeurs "universelles", pour la consommation collective. » (J. Baudrillard)

 

Qu’allons-nous léguer comme paysages ? Des forêts de signes et des déserts de sens ?! Nos questions brutales dérangent ? C’était le but et nous espérons qu’elles toucheront les gens sensés, et feront réfléchir et professionnels du paysage et hommes politiques, car on ne peut impunément et indéfiniment mépriser la culture et le symbolique.

 

© Josiane UBAUD, ethnobotaniste en domaine occitan – mai 2006

 

                                             

 

 

 

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Dernière mise à jour le : 24 janvier 2014.